"Bâtir la République" - 10 octobre 2020 au Musée de la Photographie, à Andohalo, Antananarivo : de g. à dr. Hugues Rajaonson, Abraham Razafy, Jimmy Ranitratsilo, Serge Zafimahova
L'ONG "Bâtir la République" a organisé le 10 octobre la 3ème édition de son événement annuel dont le thème de 2020 est "62ème année de la République, 60ème année de l’Indépendance de Madagascar" au Musée de la Photographie, à Andohalo, Antananarivo. Ce thème marque ainsi une année particulière à plus d'un titre, célébrant à la fois les 60 années d'indépendance, mais également la 62ème année de la République pour le 14 octobre 2020, sous le contexte de l'urgence sanitaire. Fidèles à ce format de conférence - débats tous les ans depuis 2018, l'ONG, les panéliste et l'assistance ont pu faire un panorama complet du thème tout en évoquant des pistes de solutions : historique de la 1ère République de Madagascar, historique des changements de Constitution et de République et les événements marquant ces changements, situation économique, et analyse comportemental du citoyen pour un vrai développement.
Riche en matière de réflexion et de propos francs, l'édition 2020 du rendez-vous annuel de l'ONG "Bâtir la République" a vu la participation de quatre panélistes, chacun apportant un sujet précis, les débats étant animés par le journaliste Abraham Razafy.
Historique de la première République
Eliana Bezaza, politicienne et petite fille de Tsiranana, premier président de la République Philibert Tsiranana, a apporté sa contribution en vidéo, étant absente d'Antananarivo. Elle a évoqué l'historique de la première République, les faits marquants de l'époque et sa vision du développement qui, selon elle, "a trop souffert des ruptures politiques au détriment de l'économie et du social". Eliana Bezaza n'a pas mâché ses mots en évoquant que "le mouvement de 1972 était une erreur d'orientation, réalisé sans analyse des conséquence sur sa politique de développement".
Relations internationales
Serge Zafimahova, observateur politique et lui aussi descendant d'une famille de politiciens de la première République, a également soulevé cette problématique de ruptures politiques. Ce fidèle de l'ancien président Zafy Albert, considéré comme Père de la Démocratie à Madagascar, a apporté des détails sur les "affaires" qui ont terni l'image du pays et plombé son économie depuis 1972. Serge Zafimahova, ayant fait partie de l'équipe chargée de la privatisation vers le milieu des années 1990 à Madagascar, a lui aussi révélé des décisions de cession des sociétés d'Etat, notamment les banques cédées à des groupes étrangers, "vendues à des prix dérisoires pour limiter les casses économiques des errements du régime Ratsiraka".
Des soupçons de rétrocommission ont même été soulevés à l'époque, "suite à des informations judiciaires provenant de la Suisse sur la privatisation de l'une de ces banques malgaches", a expliqué Serge Zafimahova. Il a précisé qu'il a "apporté ces informations pour réveiller la conscience citoyenne, pour attirer les administrés à s'intéresser davantage aux programmes et réalisations des dirigeants, pour ne plus rentrer dans les crises politiques à travers des soulèvements populaires, causes principales de la pauvreté du pays".
Serge Zafimahova a conclu son intervention par un message : "Ne soyons plus de simples témoins de l'histoire, tout en nous plaignant de nos dirigeants que nous élisons nous-mêmes, des pays étrangers à qui nous confions des intérêts de chez nous, ou des bailleurs de fonds qui nous prêtent leurs services avec notre propre aval. Le premier responsable de nos maux, c'est tout d'abord nous-mêmes. Instruisons-nous pour ne plus retomber dans les erreurs du passé".
Situation économique en 60 ans d'indépendance
"La pauvreté de Madagascar est la conséquence de trop nombreuses ruptures politiques, ajoutées à l'absence de vraie politique de développement dans le pays", a déclaré d'emblée Hugues Rajaonson, économiste. Il a par la suite déroulé des chiffres sur six décennies d'indépendance, très simples à lire et édifiants sur la situation de Madagascar.
Pendant cette période, le constat est clair, le pays est passé par une moyenne de 20 dollars par jour par citoyen pour vivre à 1 dollar ou moins actuellement. Le nombre de familles aisées, c'est à dire qui vivent dans la sécurité alimentaire, ayant eu une éducation et bénéficiant d'une protection individuelle pour la santé, était à un peu plus de la moitié des 7 millions de malgaches juste après l'indépendance. Ce chiffre a dramatiquement changé car actuellement, la population de Madagascar a dépassé la barre des 25 millions, et la catégorie de familles aisées se chiffre à 400.000.
Hugues Rajaonson a tiré la sonnette d'alarme sur le mode de vie et de consommation des citoyens, notamment la population urbaine : "Cette dernière a considérablement augmenté en 60 ans et consomme une majorité écrasante de produits et services importés à Madagascar. Ceci a durablement installé un déséquilibre économique et monétaire grave, au point où les dirigeants successifs ont peiné à réaliser un vrai programme socioéconomique, et ont joué aux pompiers durant leurs mandats pour maintenir artificiellement une situation économique déjà pas reluisante". Il a également conclu son intervention par un message incitant chacun " à produire et à consommer localement, et les gouvernants à faciliter la production locale, par la fourniture d'énergie nécessaire pour avancer progressivement vers une vraie industrialisation et un climat sain pour ceux qui veulent entreprendre".
La population, entre la pauvreté et la pandémie du Covid-19
L'anthropologue Jimmy Ranitratsilo a évoqué la destruction lente de la relation sociale et humaine du pays. Il a notamment expliqué que "dans la distanciation nécessaires mais imposée par la crise sanitaire mondiale, le tissu social et culturel malgache déjà fragilisé par la pauvreté et le manque d'éducation, risque de s'effondrer, si ce n'est déjà fait. Les us et coutumes traditionnels ont disparu, on ne se rend plus visite et on ne se tient plus les mains". Ce jeune anthropologue a souligné que la menace sur ces bases coutumières "appelle chaque citoyen à s'attendre à un grand changement des relations sociales et humaines dans le pays après la pandémie". Il a par ailleurs repris un propos d'un intervenant en se questionnant, non sans humour, sur la durée restante de la circulation active du coronavirus à Madagascar : "Ce sera fini dans deux, mais on ne sait pas si c'est deux mois, deux ans, ou deux décennies".
Connu par le public depuis sa première édition de conférence - débats du 14 octobre 2018, "Bâtir la République", étant fidèle à son format d'échange d'idées cher à Beboarimisa Ralava, un de ses fondateurs et président de l'ONG, a de nouveau engagé l'assistance à faire vivre les discussions afin de détecter les actions futures pour le développement.
Entrepreneur dans le tourisme ayant perdu ses clients internationaux mais qui a découvert une nouvelle piste sur le marché du tourisme local, journaliste actif dans les débats socioéconomiques et les réseaux sociaux qui doute de l'avenir mais qui se félicite d'avoir participé aux débats, simple citoyen qui découvre une possibilité d'avancer à travers les échanges... L'assistance a participé activement aux débats où l'objectivité était au rendez-vous et les mots ont été lâchés par la majorité des personnes présentes : "la conscience citoyenne, réveillée par l'introspection pendant la période de confinement, peut réorienter le pays et les citoyens".
L'ONG a par ailleurs remercié tous les participants en précisant que tout le contenu de l'événement, comme à l'accoutumée, sera consultable sur sa page Facebook, permettant ainsi ceux qui ont suivi en direct sa retransmission de commenter, et d'y laisser librement leur avis objectifs et leurs contributions aux échanges.
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