Un couac, une humiliation, la bérézina. Le palais présidentiel d'Ankara , en Turquie, a été le théâtre d'un affrontement inédit entre les têtes dirigeantes de l'Europe. Le belge Charles Michel qui préside le Conseil européen, a reçu son fauteuil, s'est assis tranquillement pour ne plus se lever devant Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, debout, sans fauteuil, estampillée d'un badge simple de "membre de délégation".
Le bon sens diplomatique, ou la simple courtoisie chère aux européens, veut que Charles Michel se lève, attendant que quelqu'un lui apporte un fauteuil supplémentaire. Mais il est resté assis, sans broncher, en faisant face à la délégation turque. Ursula von der Leyen, elle, s'est résolue à se placer à un sofa plus loin.
Le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlüt Çavuşoğlu, a confirmé que "les demandes de la partie européenne dans le protocole ont été satisfaites. Une telle disposition des sièges a été arrangée suivant les suggestions de la partie européenne".
Le protocole l'a voulu ainsi, que le président du Conseil préside la délégation européenne, face à celle de la Turquie, dirigée par un Recep Tayyip Erdogan, calme et finalement très arrangeant pendant les discussions. Si les médias et les observateurs s'attendaient à un rude face à face Europe - Turquie, presque déçus et étonnés, ils ont constaté une fissure à peine cachée entre les patrons de l'Europe.
Les relations entre Charles Michel et Ursula von der Leyen sont en effet très compliquées, une cohabitation parsemée de détestation réciproque depuis le début de leurs mandats. Le premier, issu des libéraux du Parlement européen, le Renew Europe où adhèrent les macronistes, et la seconde, une démocrate-chrétienne du parti d’Angela Merkel, avec le PPE à Bruxelles, ne s'aiment guère.
Pour Charles Michel, ancien Premier ministre de la Belgique de 2014 à 2019, toutes les occasions sont bonnes pour "descendre" Ursula von der Leyen. Cette dernière souffre d'un manque d'expérience de gouvernance, n'a été "que" ministre de la Famille, du Travail, puis de la Défense en Allemagne de 2005 à 2019. Son prédécesseur, le luxembourgeois Jean Claude Juncker avait déjà évoqué la méconnaissance d'Ursula von der Leyen sur les rouages de l'Europe.
Pire, elle est flanquée de trois vice-présidents chevronnés, Frans Timmermans, Margrethe Veshager et Vladis Domborvskis, qui tiennent d'une main de fer les dossiers dont ils sont chargés grâce à leurs longues expériences à Bruxelles. Pour les observateurs de l'Union européenne, Ursula von der Leyen s'est reléguée elle-même aux coups médiatiques et à ses présences internationales.
Cet attelage vacillant est d'autant plus fragilisé par un troisième homme de l'Europe, l'espagnol Josep Borrell, Haut représentant pour les affaires étrangères, un socialiste qui joue à fond la carte de la gauche européenne.
Mais l'Europe se trompe du tout au tout si elle a cru au calme d'Erdogan durant les entrevues du 6 avril dernier. Ce dernier ne marquera pas de tirer à boulet rouge sur cette fracture pour imposer ses vues sur les dossiers, dont l'intégration de la Turquie, à l'Union européenne est la colonne vertébrale de sa position.
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